• La prostitution

    Exposé de Béatrice pour Mix-Cité (le 15 mars 2001) (Partie 1/3 de "La prostitution").


    RAPPELS:
    Les représentations de la prostitution véhiculent de nombreux clichés, notamment l'idée que ce serait « le plus vieux métier du monde », alors que le plus vieux métier du monde est probablement celui de chasseur-euse, de berger-ère... Cette idée est liée à l’argument selon lequel l’homme a toujours dominé la femme, surtout dans la sexualité, c’est dans la nature des choses et l’on ne peut rien y changer.
    Il existe une autre croyance, théorisée au XIXe siècle mais encore entendue aujourd'hui, selon laquelle la prostitution est la conséquence d'un dérèglement sexuel de certaines femmes (la prostituée est une nymphomane). On entend encore aussi souvent que l'existence de la prostitution est utile à la société car elle permet de limiter les viols, en canalisant les pulsions sexuelles masculines qui sont de toute façon irrépressibles.
    La prostitution suscite le plus souvent soit le rejet et la stigmatisation, soit la fascination (ces deux sentiments ne s'excluant pas), qui s'appuie sur des clichés tenaces : la littérature et le cinéma ont beaucoup contribué à folkloriser la prostitution, avec l'image de la « pute au grand cœur », des romans de Maupassant aux films de Guédiguian en passant par le cinéma des années 50. Ces mythes se situent toujours du point de vue de l’homme-sujet, en plaçant la prostitution du côté d’une joyeuse libération sexuelle (on parle des « filles de joie »), qui gomme le sordide, la violence et les rapports de domination, ou du côté du sacrificiel, d’un abandon admirable au désir de l’homme.


    SOMMAIRE:

    I) LA REALITE DE LA PROSTITUTION.
    1.1 - Les personnes prostituées
    1.2 - La prostitution masculine
    1.3 - Les enfants prostitués
    1.4 - La drogue
    1.5 - La violence et la peur
    1.6 - À qui profite le crime?
    1.7 - Le client, violeur légal

    I - LA REALITE DE LA PROSTITUTION.

    1.1 - Les personnes prostituées
    Selon l'OCRTEH (Office Central de Répression de la Traite des Êtres Humains), il y aurait entre 15 000 et 18 000 prostituées en France (15 000 à 30 000 selon le Quid), dont environ 30 % d'étrangères. À Paris, on recenserait environ 4 000 « régulières » sur le trottoir et 2 000 clandestines, et certaines sources évoquent plusieurs dizaines de milliers d'occasionnelles. La prostitution occasionnelle se développe en tout cas (toxicomanie ou volonté d'arrondir ses fins de mois).
    Le nombre de prostituées étrangères est en augmentation ; parmi elles, une grande partie viennent d'Afrique, mais on trouve aujourd'hui beaucoup de jeunes filles amenées des pays d'Europe de l'Est par les réseaux albanais ; elles seraient 300 000 dans toute l'Europe occidentale.
    La prostitution se transforme, prend de nouvelles formes : elle est moins sur les trottoirs et davantage sur Minitel, dans des studios, dans les salons de massage, dans les hôtels, etc. La prostitution de trottoir se déplace en périphérie des villes.
    Les analyses sociologiques montrent un certain nombre de traits communs dans l'histoire personnelle des prostituées.
    Il apparaît que 80 % des prostituées ont subi des abus sexuels au cours de leur enfance.
    De nombreuses prostituées disent qu'elles le sont devenues, paradoxalement, pour "se venger des hommes", car se prostituer, c'est les "faire payer", au sens propre et donc aussi au sens figuré. De plus, c'est acquérir une "valeur" chiffrable, pour celles qui pensent n'en avoir aucune, parce qu'elles ont été méprisées ou humiliées ou qu'elles ont eu de graves carences affectives.
    Les proxénètes profitent aussi souvent de jeunes filles et de femmes isolées d'un point de vue social et/ou familial : des filles placées dans des foyers, des immigrées sans papiers...
    La pauvreté, le besoin d'argent peuvent pousser à recourir à la prostitution, qui semble une manière rapide de gagner beaucoup d'argent. En fait, même si elles gagnent beaucoup d'argent, les prostituées en gardent peu, entre ce qui va au proxénète et les énormes frais qu'engendre la vie prostitutionnelle (studio ou chambre qu'elles utilisent, impôts et amendes, vêtements et maquillage, alcool, etc.).
    La prostitution touche beaucoup de femmes sans formation, sans emploi, parfois sans domicile, sans papiers. Les femmes qui sortent de prison, par exemple, n'ont parfois pas d'autre choix pour survivre. Comme le dit une chercheuse, « Si la prostitution est librement consentie, pourquoi sont-ce toujours les femmes qui ont le moins de choix qui l'exercent ? »

    1.2 - La prostitution masculine
    Quantitativement, la prostitution masculine reste beaucoup moins importante que la prostitution féminine, mais la proportion d'hommes a considérablement augmenté ces dernières années. Selon la police, un tiers des prostitué-es seraient des hommes, mais cette proportion ne prend pas en compte les nouvelles formes de prostitution (dans les salons de massage, il n'y a presque que des femmes).
    Il semble que beaucoup de garçons commencent à se prostituer habillés en hommes, puis deviennent travestis parce que ça rapportent plus ; ceux qui prennent des hormones pour développer les seins gagnent encore davantage.
    Les prostitués hommes sont en moyenne plus jeunes que les femmes (les garçons sont beaucoup moins demandés après 30 ans). Ils sont en majorité d'origine française, mais, comme pour les femmes, on assiste actuellement à une arrivée massive de jeunes venus de l'Est. Également beaucoup en provenance d'Amérique du Sud. Les prostitués se disent moins soumis que les femmes à des proxénètes, mais en réalité, ils paient souvent des protecteurs ou des entremetteurs.
    Selon Jean Feschet ("Garçons pour trottoirs"), « C'est l'intolérance dont l'entourage fait preuve à l'égard du garçon homosexuel qui finit par condamner certains d'entre eux à la prostitution. »
    Plus du tiers des garçons prostitués auraient été victimes de viol pendant l'enfance. On retrouve aussi beaucoup de jeunes en galère, qui ont besoin d'argent, des jeunes qui connaissent des problèmes familiaux graves, des drogués.
    En tout cas, un point commun entre les prostitutions féminine et masculine : elles s'adressent toutes deux aux hommes.
    L'objet sexuel peut être féminin ou masculin, mineur ou non, il est toujours - à de très rares exceptions près - au service du sujet homme.

    1.3 - Les enfants prostitués
    La prostitution des enfants et des adolescents est surtout liée au tourisme sexuel. Elle concernerait trois millions de mineurs dans le monde (sce Unesco).
    Il s'agit en fait des mêmes réseaux que pour la prostitution adulte, et souvent des mêmes clients. Il n'y a aucune différence fondamentale entre le client des adultes et le client des enfants.

    1.4 - La drogue
    Ce sont souvent les mêmes réseaux qui font commerce des femmes et de la drogue dure. La drogue aide les prostituées à supporter les passes, mais elle est pour le proxénète une garantie de soumission. La prostituée devient dépendante à la fois de la drogue et de son proxénète, qui la lui fournit.
    Selon Jean-Michel Carré, auteur de plusieurs documentaires sur la prostitution à Paris, 80% des prostituées parisiennes seraient droguées : il y a celles qui se prostituent pour payer la drogue, et celles qui se droguent pour supporter la prostitution... ou les deux : «Au début, j’ai pris de la drogue pour travailler, et puis, très vite, j’ai travaillé pour la drogue.»
    L'alcool peut remplacer la drogue, toujours pour mieux supporter la prostitution.
    Cependant, certain-es prostitué-es refusent les deux.

    1.5 - La violence et la peur
    La peur paraît être le sentiment le plus partagé par les prostitué-es. La violence peut venir du proxénète (violence physique ou psychologique), mais aussi et surtout du client, voire des autres prostituées (concurrence). Le meurtre de prostituées est relativement fréquent, mais peu médiatisé.
    Une enquête sur les conditions de vie des personnes prostituées révèle que « les agressions par des hommes isolés ou en bandes sont extrêmement fréquentes. Plus d'un tiers des personnes contactées ont subi au moins une agression au cours des quatre/cinq mois précédant l'enquête. Ces agressions, qui vont parfois jusqu'au meurtre, donnent rarement lieu à une plainte auprès de la police. Des travaux sociologiques sur la prostitution et sur les violences montrent également une sous-déclaration systématique due à une sous-évaluation d'agressions considérées comme “normales” dans le travail sexuel ».
    La prostitution la plus dangereuse est celle pratiquée « sur route », c'est-à-dire sur les trottoirs en périphérie des villes.

    1.6 - À qui profite le crime ?
    95 % des prostituées « professionnelles » dépendent de 15 000 proxénètes.
    Le chiffre d'affaires annuel de la prostitution en France représenterait de 10 à 20 milliards de francs, dont 70 % reviendraient aux proxénètes. Le proxénétisme à l'échelle mondiale brasse plus d'argent que le trafic de drogue.
    Le nouveau Code pénal de 1994 a accru la répression contre le proxénétisme. Les proxénètes sont passibles d'amendes de 10 000 à 200 000 F, plus éventuellement 6 mois à 2 ans de prison, dans le cas de proxénétisme « simple » (c'est alors un délit) ; le proxénétisme « aggravé » (proxénétisme organisé, ou exercé avec violence, contrainte, torture, ou sur un-e mineur-e) est un crime, et les peines vont de 2 à 10 ans de prison (5 à 20 ans selon une autre source) et jusqu'à 10 000 000 F d'amende. En revanche, le nouveau Code ne qualifie plus de proxénétisme la simple cohabitation avec une personne prostituée, ce qui entravait le droit des prostituées à avoir une vie privée.

    1.7 - Le client, violeur légal
    C'est toujours la prostituée, jamais le client, qui est sous les projecteurs dès qu'on parle de prostitution, c'est elle qui est culpabilisée. Le client qui erre sur un trottoir à la recherche d'une prostituée n'est jamais arrêté pour racolage. Pourtant, c'est la demande qui crée l'activité : plus de clients, plus de prostitution. Le client est appelé « le prostituant » par certains chercheurs ou militants.
    Jusque récemment encore (années 60), il était fréquent - et admis - que les adolescents connaissent leur première expérience sexuelle avec une prostituée, la virginité masculine étant plus honteuse que valorisée. Heureusement, cette coutume tombe en désuétude (selon une enquête de 1992, 12,5 % des hommes nés avant 1943 avaient eu leur premier rapport sexuel avec une prostituée ; les hommes nés entre 1962 et 1973 n’étaient « plus que » 2 % dans ce cas) ; mais hormis ce cas particulier, la « clientèle » n’a pas foncièrement changé.
    Les clients sont toujours des hommes (selon une enquête de terrain, le peu de femmes qui pourraient être potentiellement clientes sont refusées par les prostitués hommes ou femmes, sauf cas extrêmement marginaux). Sociologiquement, ils se recrutent dans toutes les classes sociales, tous les groupes de la société - comme c’était déjà le cas au XIXe siècle -, avec quand même une certaine sur-représentation des habitants des grandes villes et des cadres. On peut distinguer les «réguliers», les habitués du recours aux prostituées, qui représenteraient 3 % à 5 % de la population masculine ; les «occasionnels», qui constitueraient 15 % à 20 % de cette population ; enfin les «exceptionnels», qui peuvent avoir recours à cette pratique un soir de cafard… (Mais cette proportion est difficile à évaluer, elle peut être beaucoup plus élevée.)
    Différentes raisons sont invoquées pour recourir à une prostituée : il y a l'insatisfait de la routine conjugale, le complexé, l'homme qui a peur des femmes, celui qui veut assouvir un fantasme, ou juste s'offrir un moment de détente, etc. Il faut noter que, inversement, la société n'a pas songé à fournir aux femmes insatisfaites ou qui ont peur des hommes, des garçons à leur disposition pour assouvir leurs besoins sexuels.
    Le pourcentage d'hommes ayant eu recours à une prostituée est donc assez élevé, mais cette pratique est souvent cachée, honteuse. Le client se libère de cette relative mauvaise conscience grâce à l'argent qu'il donne (il se sent alors « quitte »), et aussi grâce à la croyance entretenue qu'après tout, c'est elle qui a choisi sa vie, elle est responsable de ce qui lui arrive. Le fait de payer leur permet aussi de se comporter en clients-rois : payer, c'est pouvoir tout se permettre. Les clients pensent souvent que la prostituée est quelqu'un qui s'en fout, ou qui se plaît à être un objet sexuel. Témoignage d'un client : « Je paie bien mon pressing, je me fais livrer ma pizza, pourquoi pas payer pour tirer un coup avec une pute... On vit dans une société de consommation, les prostituées sont à consommer, moi je choisis et je paie, c’est tout. »


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